L’évasion spectaculaire d’Alexandre Stuart, duc d’Albany
Nous sommes en 1479. Derrière les sombres murailles du château d’Édimbourg, Alexandre Stuart, duc d’Albany, frère cadet du roi Jacques III, est emprisonné. Les raisons de cette détention ? Une prophétie obscure et la méfiance maladive de son frère, persuadé qu’un lion (symbole du roi d’Écosse) sera dévoré par l’un de ses propres petits. Les complots et les rivalités à la cour d’Écosse ont poussé Jacques à suspecter ses frères de vouloir sa chute. L’un, John, comte de Marche, a déjà trouvé la mort, en captivité, veines ouvertes et vidé de son sang. Alexandre sait qu’il pourrait bien être le suivant.
C’est dans ce climat tendu et dangereux que se prépare l’une des plus audacieuses évasions de l’histoire écossaise. Enfermé dans une cellule de la forteresse d’Édimbourg, Alexandre Stuart reçoit une aide inattendue de l’un de ses alliés. Un tonneau de vin « Malvoisie », livré en apparence comme un simple confort pour le prisonnier, recèle en réalité une corde habilement dissimulée dans un double fond, un poignard, et un message glissé entre les interstices de la barrique. Le billet est clair : la fuite doit avoir lieu cette nuit.
La dague lui permet de dégager la corde du tonneau, mais Alexandre constate rapidement qu’elle est bien trop courte pour descendre les imposants murs du château. Sans se laisser abattre, il déchire les draps de son lit, les noue solidement à la corde pour la rallonger, espérant que ces nœuds improvisés tiendront sous son poids. Tandis que les gardes festoient, distraits par la chaleur du feu et l’effet du vin, Albany met son plan à exécution.
Descendant le long des murailles, il touche presque le sol lorsque son compagnon d’infortune, qui l’accompagne dans cette périlleuse évasion, glisse et chute lourdement sur les rochers en contrebas. Le fracas résonne dans le silence de la nuit, mais Alexandre ne l’abandonne pas. Il remonte, récupère son ami blessé, et tous deux, dans un ultime effort, réussissent à s’éloigner du château. La côte n’est plus qu’à quelques mètres, et au large, un navire l’attend, prêt à l’emmener loin de cette prison.
Ce navire, symbolisant la liberté, est aussi le passage vers une nouvelle vie pour Alexandre Stuart. Son exil en France commence à cet instant. Là-bas, à la cour de Louis XI, il trouvera non seulement un refuge, mais aussi une nouvelle destinée : celle d’un prince écossais marié à Anne de La Tour d’Auvergne, fille de Bertrand VI, riche comte d’Auvergne et de Boulogne. Ce mariage, orchestré par Louis XI, scelle un lien durable entre l’Écosse et l’Auvergne, deux terres éloignées mais unies par cette alliance.
Les alliances ambiguës d’Alexandre Stuart : entre diplomatie et survie
Après son évasion spectaculaire du château d’Édimbourg, Alexandre Stuart trouve refuge en France, où il s’impose comme un seigneur influent grâce à son mariage avec Anne de La Tour d’Auvergne. Mais loin de s’apaiser, ses ambitions pour l’Écosse restent brûlantes. En 1482, alors que le royaume de son frère Jacques III est secoué par des tensions internes, Alexandre voit une occasion de reconquérir sa place et de restaurer ses titres. Loin de vouloir se venger aveuglément ou de trahir définitivement sa patrie, Alexandre semble davantage animé par le désir de retrouver ses terres et de s’assurer un rôle central dans les affaires du royaume.
C’est dans ce contexte qu’il se rapproche d’Édouard IV d’Angleterre, non pas uniquement pour renverser Jacques III, mais probablement pour renforcer sa position dans une Écosse où les partisans pro-français sont de plus en plus influents. L’alliance avec l’Angleterre, qui a longtemps été l’ennemie naturelle de l’Écosse, semble être pour Alexandre un moyen stratégique de mettre la pression sur son frère et négocier une réconciliation. Pour garantir le soutien d’Édouard, Alexandre propose la cession de Berwick-upon-Tweed, une forteresse stratégique disputée depuis longtemps entre les deux royaumes. Mais, contrairement aux apparences, cette alliance n’est pas un acte de trahison totale. Alexandre Stuart, plutôt que de prendre le trône comme le souhaiteÉdouard IV (qui le proclame roi à l’avance), propose à son frère une réconciliation et regagne ses droits et ses terres, rétablissant ainsi une sorte d’équilibre.
Cependant, le climat politique est trop tendu pour permettre un retour en grâce durable. Jacques III, affaibli par les rivalités des clans et les tensions avec ses nobles, reste méfiant. Alexandre, quant à lui, doit naviguer entre les forces anglaises et françaises, jouant subtilement de ses alliances pour se maintenir dans le jeu diplomatique. Son exil en France et son mariage avec Anne de La Tour d’Auvergne, qui le relie aux cercles de pouvoir français, le renforcent sur la scène internationale, mais la situation en Écosse demeure précaire.
Ironie du sort, c’est finalement la prophétie qui scellera le destin de son frère. Jacques III, convaincu que ses propres frères le trahiraient, voit son règne prendre fin non pas par la main d’Alexandre, mais par celle de son propre fils, le futur Jacques IV. En 1488, lors de la bataille de Sauchieburn, Jacques III est renversé par les nobles écossais, manipulant son fils contre lui. La prophétie, qui avait envenimé les relations entre Jacques et ses frères, se réalise de la manière la plus cruelle : ce n’est pas Alexandre ou Jean, comte de Mar, mais bien Jacques IV qui finit par détruire le roi.
Le déclin et la mort d’Alexandre Stuart : un prince sans royaume
Après cet épisode tragique, Alexandre, malgré ses manœuvres diplomatiques et ses alliances militaires, ne parvient jamais à reconquérir l’Écosse. Éloigné des intrigues de son royaume natal, il s’installe définitivement en France, où il jouit d’un certain prestige à la cour. Il participe à des tournois, noue des alliances stratégiques, mais ses rêves de reconquête écossaise s’éloignent. Son destin bascule définitivement en 1485, lors d’un tournoi à Paris. Ironiquement, alors qu’il observe la joute depuis les tribunes entre le duc d’Orléans (futur Louis XII) et un autre chevalier, un éclat de lance vient le frapper mortellement. Le prince exilé, dont la vie avait été marquée par tant de batailles et de complots, trouve une fin aussi brutale qu’inattendue. Il est inhumé à Paris, dans l’église des Célestins, auprès du roi d’Arménie, un dernier hommage à son rang et à ses ambitions inabouties.
Un héritage qui ne s’éteint pas : Jean Stuart, duc d’Albany
Si la vie d’Alexandre Stuart s’est achevée tragiquement, son héritagene disparaît pas avec lui. Son fils, Jean Stuart, deviendra une figure encore plus marquante de l’histoire franco-écossaise. Né de son union avec Anne de La Tour d’Auvergne, Jean héritera non seulement des ambitions de son père, mais aussi de son réseau d’alliances françaises et auvergnates.
Son histoire, toute aussi captivante, sera le sujet de notre prochain article, où nous découvrirons comment ce fils d’un exilé est devenu comte d’Auvergne, ami intime de François Ier et un régent au destin exceptionnel.